Nous revenons aujourd’hui sur les médiateurs de presse. Et c’est un vrai plaisir de vous faire partager ici l’entretien que nous avons eu avec Pierre Champoux, ombudsman de Radio-Canada. Radio-Canada est un diffuseur radio, télé et numérique. Son nom remonte à 1936. La télévision n’existait pas encore. La télévision de Radio-Canada est apparue en 1952 et le premier site web de Radio-Canada a vu le jour en 1995.
Bonjour Pierre Champoux, qui êtes-vous ?
Bonjour. Je suis né il y a près de soixante ans, dans la très belle ville de Québec où j’ai passé les vingt premières années de ma vie, avant de migrer vers Montréal pour tenter ma chance dans le monde des médias. Mes études sont atypiques et plutôt hétéroclites, passant de l’administration aux communications, au droit, avant de revenir à la gestion. Au final, je n’ai complété aucun diplôme, les opportunités d’emploi étant suffisamment alléchantes dès ma très jeune vingtaine. Aujourd’hui, très honnêtement, j’avoue entretenir un certain regret à cet égard, à tel point que j’envisage un retour sur les bancs d’école, lorsque l’heure de la retraite aura sonné.
Ma carrière s’étend donc sur près de quarante ans, d’abord dans une station de radio privée, comme chef de pupitre et lecteur de nouvelles, ensuite à la télé où j’ai contribué au lancement de LCN, une chaîne d’information en continu, avant d’arriver à Radio-Canada, au début des années 2000, où j’ai été, je résume, rédacteur en chef du réseau de l’information, directeur de l’information des médias numériques, puis directeur des relations citoyennes au sein de la direction de l’information.
En 2020, l’ombudsman de l’époque a annoncé sa retraite, après son mandat de cinq ans. J’ai saisi l’occasion pour dire mon intérêt. J’ai manifestement été assez convaincant puisque Radio-Canada m’a offert le poste d’ombudsman des services français de CBC/Radio-Canada, le diffuseur public canadien, que j’occupe depuis l’été 2021.
Pourquoi dit-on « ombudsman » et non « médiateur de presse » ?
À vrai dire, je l’ignore. Mais je constate aussi des différences assez importantes avec le rôle de médiateur que jouent mes homologues de France Télévisions, Jérôme Cathala, ou de Radio France, Emmanuelle Daviet. Mon mandat prévoit notamment que je peux faire la révision d’une plainte si la réponse de la direction n’a pas satisfait le plaignant. Par révision, on entend une sorte d’enquête visant à déterminer si le contenu visé respecte les normes et pratiques journalistiques, le code déontologique qui encadre le travail des journalistes de Radio-Canada. Chaque année, je fais entre 20 et 30 révisions.
Comment devient-on ombudsman de Radio-Canada et quels critères sont requis pour parvenir à ce poste ?
Quiconque le souhaite peut poser sa candidature pour devenir ombudsman de Radio-Canada. Mais, l’histoire récente montre qu’il est préférable d’avoir une expérience journalistique pour prétendre au poste. J’ajouterais même qu’une bonne connaissance de Radio-Canada est un sérieux atout, ne fut-ce que pour simplifier la tâche de la personne choisie, une fois en fonction.
Outre une excellente connaissance du journalisme, je pense qu’une maîtrise de la déontologie journalistique, notamment des normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, est essentielle, ainsi qu’un bon jugement et une capacité à bien gérer le stress.
À quand remonte la nomination du premier ombudsman à Radio Canada ?
Radio-Canada s’est dotée d’un premier ombudsman en 1992. Je suis le huitième à avoir ce privilège.
Qu’est-ce qui a changé entre le premier ombudsman à Radio Canada et vous ?
Tout ? En fait, l’information demeure de l’information mais, comme le dit la chanson, « le monde et les temps changent… ».
À peine trente ans nous séparent de 1992 mais ça semble une éternité lorsqu’on compare les époques. L’info en continu, l’internet, les réseaux sociaux, Donald Trump et j’en passe… La société a changé, pas toujours pour le mieux, et le rôle de l’ombudsman n’y a pas échappé. Il y a trente ans, les citoyens contactaient l’ombudsman par le courrier, par fax (télécopieur) ou par téléphone. Aujourd’hui, tout se fait par courriel, ou presque. Les lettres papier et autres messages téléphoniques sont de plus en plus rares.
Cela dit, au cours des dernières années, j’observe une certaine décomplexion du discours. La vaste majorité des personnes qui me contactent sont polies et respectueuses, mais certaines ne se privent plus pour exprimer leur frustration en des termes pas toujours sympathiques, voire violents.
Lire aussi : La médiation de presse : où en est-elle ?
C’est quoi le quotidien de l’ombudsman de Radio-Canada aujourd’hui ?
C’est un quotidien où l’information prend beaucoup de place et j’en suis fort aise. La radio est allumée en tout temps. Je lis beaucoup et, bien entendu, je reçois et réponds aux plaintes et commentaires que m’envoient les Canadiens à propos de leur diffuseur public.
C’est un devoir assez solitaire, il faut l’avouer, mais j’ai la chance d’avoir une adjointe expérimentée et d’agréable compagnie qui, même à distance, m’appuie avec efficacité et discrétion. Je peux aussi échanger avec mon homologue de CBC, le réseau anglais de Radio-Canada, si une question épineuse me turlupine ou si j’ai besoin d’un avis extérieur. Mon entourage est plus restreint qu’avant mon entrée en fonction, mais je vis bien avec cette réalité.
Comment les auditeurs vous saisissent-ils et pour quels sujets ?
99 % des plaintes et commentaires me parviennent par courriel. Les gens peuvent m’écrire grâce à un formulaire offert sur mon site web ou directement à mon adresse ombudsman@radio-canada.ca. Chaque année, je reçois autour de 2 000 communications du public. Je réponds à tous les messages.
Les plaintes concernent généralement l’exactitude ou l’équilibre de reportages ou d’entrevues, mais aussi l’impartialité des journalistes. De plus en plus, on constate aussi une tendance à reprocher aux journalistes de ne pas aborder certaines questions ou, au contraire, de donner trop d’attention à un sujet.
Ces dernières années, tout ce qui entoure la pandémie de covid-19 a été un immense vecteur de plaintes. Certaines personnes reprochaient à Radio-Canada de s’être fait le porte-voix des autorités et de ne pas mettre en doute ce qu’on a appelé le « narratif officiel ». De l’autre côté, des plaignants dénonçaient l’attention accordée aux « conspirationnistes » ou « complotistes », estimant que cela contribuait à leur popularité.
Plus récemment, j’observe une polarisation des points de vue qui semble évacuer toute possibilité d’échange, toute nuance. Chacun reste campé sur ses positions, semblant incapable de quelque compromis. J’espère me tromper.
L’ombudsman de Radio-Canada en chiffres
1 817 plaintes et commentaires de toutes sortes en 2022-2023
574 réponses exigées de la direction dont 511 avec l’option de demander une révision
18 demandes de révision
De quelle manière leur répondez-vous ?
Si on m’écrit par courriel, je vais répondre par courriel. Si quelqu’un m’appelle, Laure ou moi allons le rappeler. J’essaie toujours d’adopter une position d’ouverture, même devant les plus coriaces, afin de faciliter la discussion. Pour la plupart, le simple fait de recevoir une réponse est de nature à les rassurer, voire à les calmer. Parce que, souvent, leur plainte est écrite sous le coup de l’émotion, de la colère. Ils vont m’écrire sans trop savoir si quelqu’un les lira. Dès lors que ma réponse leur parvient, et j’essaie de ne pas trop tarder, ils réalisent qu’un humain est de l’autre côté du clavier. Ça contribue généralement à assainir l’ambiance, si je puis dire.
Comment gérez-vous les réactions et les questions des auditeurs sur les réseaux sociaux ?
Très honnêtement, je ne gère ni les réactions ni les questions sur les réseaux sociaux. Si je devais m’y astreindre, ça deviendrait une source de distraction trop importante. Jusqu’à récemment, je publiais mes révisions sur Facebook, Twitter et LinkedIn. J’ai, depuis le milieu de l’été, cessé toute activité sur Facebook, en raison du blocage des médias d’information canadiens par Meta, et sur Twitter (devenu X) parce que le climat y était devenu insoutenable. LinkedIn est plus confidentiel mais aussi, jusqu’à maintenant, plus professionnel et civilisé. Cela dit, je tirais peu de visibilité de Facebook et Twitter, malgré un assez grand nombre d’abonnés.
Quelles sont vos relations avec la rédaction, la direction ?
En tant qu’ombudsman, je suis totalement indépendant de la direction de Radio-Canada. Mes contacts se limitent donc aux échanges que nous avons lorsque des plaintes sont portées contre leurs contenus d’information. Si je juge qu’une plainte est recevable (vise-t-elle un contenu d’information diffusée dans la dernière année ? Lui reproche-t-on d’avoir enfreint les normes et pratiques journalistiques ?), je l’envoie à la direction concernée, généralement l’Information, et lui demande d’y répondre.
Si je dois faire une révision à propos d’une plainte, je peux interviewer quiconque me semble pertinent, aux fins de mon enquête. Et si je conclus à une infraction, la direction en prend connaissance et publie un court article où, en quelque sorte, elle en accuse réception.
Autrement, il arrive que je doive contacter des membres de la direction pour obtenir une information ou une précision. La direction ne tente jamais de m’influencer ou d’obtenir mon avis sur un sujet qui risque de faire l’objet d’une révision.
Les sujets qui font réagir :
L’identité de genre et autres questions liées à la communauté LGBTQ+
Politique canadienne sur fond de popularité croissante du Parti conservateur du Canada
Les changements climatiques
La politique américaine
La guerre en Ukraine
Le conflit au Proche-Orient
À qui rendez-vous des comptes et, si tel est le cas, de quelle manière le faites-vous ?
Je rends compte de l’activité du bureau de l’ombudsman des services français deux fois l’an, dans mes rapports annuels et semestriels. Je me rapporte ainsi au conseil d’administration de CBC/Radio-Canada, mais celui-ci n’a aucun droit de regard sur mes révisions qui sont sans appel.
Vous sentez-vous indépendant dans l’exercice de votre fonction ?
Absolument. Et c’est un réel privilège de savoir qu’un diffuseur puisse garantir une telle liberté à son ombudsman. Du même souffle, cela garantit au public qui s’adresse à moi, que je vais traiter les plaintes à l’abri de toute pression.
Mon mandat est d’une durée de cinq ans. Il est renouvelable pour un autre terme de cinq ans, à ma convenance. Après mon départ, je n’ai pas le droit de travailler à Radio-Canada pour une période de deux ans. Autrement dit, on veut préserver cette indépendance jusqu’au bout, et éviter que l’ombudsman soit tenté d’être plus conciliant avec des collègues qu’il pourrait retrouver après son mandat.
Votre avis est-il sollicité par la direction de la rédaction/des programmes pour adapter les contenus proposés par Radio Canada à ses auditeurs ?
Non. Par contre, je peux me permettre de formuler des recommandations, dans mes révisions, mais cela ne demeure que des recommandations. Mes révisions ne sont pas contraignantes mais, de façon générale, la direction en tire les leçons pour améliorer sa pratique.
Dans vos activités, qu’est-ce qui vous distingue des médiateurs de Radio France et de France Télévisions que vous rencontrez chaque année dans le cadre de l’association Les médias francophones publics ?
J’avoue ne pas connaître très finement les contours de leurs mandats. Mais, comme je l’expliquais plus haut, mes révisions et mon indépendance totale face à la direction me semblent deux différences assez fondamentales. Sur le fond, cependant, nous partageons toutes et tous le souci d’une information de qualité et le respect de l’auditoire.
Radio-Canada, c’est aussi et entre autres :
ICI Télé (chaîne télé généraliste)
ICI RDI (chaîne télé d’information en continu)
RAD (laboratoire d’information destinée aux jeunes)
Radio-Canada International (site web d’information en huit langues)
ICI ARTV (chaîne télé culturelle)
ICI Explora (chaîne télé scientifique)
ICI Tou.tv (site et application d’écoute de rattrapage et de contenu original)
ICI Première (chaîne radio généraliste)
Ohdio (appli de contenus audio, écoute de rattrapage, balados, etc.)
ICI Musique (chaîne radio musicale)
Et une vingtaine de stations et bureaux régionaux en français
Des équipes journalistiques du Nunavut (au nord) à Windsor (au sud), de Vancouver (à l’ouest), jusqu’à St-Jean de Terre-Neuve (à l’est)
©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers
Retrouvez ici nos interviews de Jérôme Cathala, médiateur de France Télévisions, et d’Emmanuelle Daviet, médiatrice de Radio France.
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