La médecine narrative

Une étude américaine réalisée il y a une vingtaine d’années, qui reste aujourd’hui la référence dans le milieu médical, a analysé la conduite des consultations médicales. L’analyse de 74 consultations a montré que seulement 23% des patients avaient été invités à exposer la totalité des symptômes qu’ils présentaient ou à reformuler les instructions données. Dans tous les autres cas, le médecin les avait interrompus avant. Ces interruptions par le médecin avaient abrégé l’exposé des problèmes et les reformulations, ou avaient orienté le patient dans une idée préconçue et partiellement inexacte. Dans 8% des cas, non seulement l’information avait été perdue lors de la consultation initiale, mais également pour les suivantes, le patient retenant qu’il n’était pas invité à parler de ces points ; ce n’est que lors de la survenue de complications ultérieures que l’information perdue avait été révélée. De plus, les patients étaient interrompus en moyenne après 18 secondes d’expression initiale des symptômes.

Une autre étude a confirmé ce constat, en retrouvant sur un échantillon de 199 consultations un délai moyen d’écoute de 23 secondes avant redirection par le médecin. Par ailleurs, les patients relancés n’avaient cette fois que 6 secondes en moyenne pour répondre à la demande exprimée par le médecin, avec une déperdition assez forte de contenu. Pourtant, les médecins surestiment le temps de parole du patient : 1 minute en moyenne dans la réalité sur une consultation de 20 minutes, alors que les médecins interrogés évaluent le temps à 9 minutes. 

Lire notre article : L’importance de l’écoute en médiation

C’est dans ce contexte et à travers ce constat, que la médecine narrative a toute sa place. 

La médecine narrative est une discipline créée sous l’impulsion du professeur de médecine Rita Charon de l’université Columbia à New York en 2000. Son principal objectif est d’établir une relation de qualité entre le médecin et le malade, caractérisée par l’empathie, et basée sur l’écoute attentive du patient. Il existe un deuxième objectif : aider les soignants à réfléchir sur leur métier, dont l’exercice amène à côtoyer quotidiennement la souffrance et la mort, et à prendre du recul.

Ce nouveau mode d’exercice permet au clinicien d’acquérir la compétence de reconnaitre, absorber, interpréter et être ému par les histoires de maladies. 

La première de ces compétences est la capacité de reconnaitre qu’au-delà du besoin d’énoncer les symptômes qui motivent sa demande de soins, le patient a besoin de raconter une histoire. 

Ensuite, absorber cette histoire, c’est la capacité du clinicien d’offrir au patient un espace pour accueillir son récit. Interpréter une histoire, c’est la capacité de garder ouvertes des interprétations possibles, souvent contradictoires ou ambiguës. Enfin, être ému par l’histoire de la maladie est une posture que le clinicien peut tenter d’adopter.

La médecine narrative permet ainsi de placer le patient au centre même du raisonnement médical. Aussi a-t-elle toute sa pertinence dans les longues affections chroniques où s’entremêlent problèmes thérapeutiques et vécu intime. Grâce à la médecine narrative, la prise en charge est personnalisée, de meilleure qualité. Le diagnostic peut être plus précis et les thérapeutiques adaptées. Une véritable alliance thérapeutique se créée.

A l’heure des nouvelles technologies, l’avenir est à la médecine narrative, soyons en assurés !

Nous finirons par une phrase du Pr Guy Vallancien dans son ouvrage « La médecine sans médecins ? » (Ed. Gallimard) qui conclut parfaitement ce propos : « L’intelligence artificielle, par la puissance sans limite de ses algorithmes, s’invite en force dans ce monde de la médecine qui reposait d’abord sur la confiance envers l’homme de l’art, détenteur du savoir médical. […] Perte terrifiante des repères traditionnels et de la bienveillance, diront les uns, mais contrairement à ce qu’en pensent ses détracteurs, la média-médecine ne sacrifiera ni la relation humaine ni l’empathie sur l’autel de la technologie, valeurs si précieuses dans les moments les plus difficiles que vivent les patients. Elle les renforcera, à un point que nous n’avons jamais connu auparavant, en dégageant le médecin des contingences matérielles qui le noient. La science est en voie de libérer le praticien des actes techniques et administratifs au profit de son vrai rôle de conseiller et de confident, lié à l’expérience intime des malades qu’il accompagne. Tel est l’avenir de mon métier, art de la relation interpersonnelle avant tout ». 

Références : « La médecine narrative – une révolution pédagogique ? » sous la direction des Pr François Goupy et Pr Claire Le Jeunne

©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers

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