Médiation : chronique d’un médecin – Acte 3/8 : la ravissante ou l’écoute active

Madame L. est ravissante. Son allure charme beaucoup d’entre nous. Dans ses yeux, un langage suppliciant : de la tristesse ? du désespoir ? un appel ?

Madame L. arrive à la consultation sur demande d’une consœur qui suit la patiente en hypnose. Elle souffre de douleurs que nous qualifions de réfractaires tant elles sont permanentes et inaccessibles à une toute approche qu’elle soit médicamenteuse ou non. Suite à la chirurgie d’une tumeur cancéreuse au niveau de la moelle épinière, une complication hémorragique a entraîné une paraplégie privant cette femme de toute motricité de ses membres inférieurs. Sont apparues depuis, des douleurs dans l’ensemble de ses jambes. Les traitements entrepris depuis plus de deux ans n’ont apporté aucun résultat probant. Elle souffre d’un nomadisme médical tant sa « vie est devenue un enfer ».

Préalablement à la consultation, j’ai pris soin de parcourir son dossier médical, épaisseur oblige. Elle franchit les portes de la salle de consultation avec son fauteuil. Elle est seule.

Dans mon esprit, je suis à la fois projeté dans une réflexion d’injustice vis-à-vis de ce que vit la patiente et reste à la fois perplexe, perdu, m’interrogeant sur ce que je vais pouvoir proposer pour ses douleurs ; l’ensemble de l’arsenal thérapeutique a déjà été prescrit et de façon adaptée.

« Bonjour Madame L. Avez-vous trouvé facilement le service ? Mettez-vous à l’aise. Êtes-vous bien installée ? ». Quelques phrases banales pour lier connaissance. Je me présente. Une petite voix sillonne mes neurones : « Que vais-je bien pouvoir faire ? ».

« Votre douleur, Madame L., ne m’intéresse pas ». Je porte sur cette patiente un regard de compassion. Quelques secondes suspendues. Mais pourquoi ai-je dis cela ? Elle va rouler vers la sortie immédiatement sans manquer normalement de m’écraser les pieds et de m’insulter, ce qui serait tout à fait logique.

Je poursuis : « Mais vous, vous m’intéressez beaucoup tant ce que vous avez vécu et ce que vous vivez est délicat et sans nul doute difficile ».

La patiente n’est pas partie. Je n’ai pas été insulté et mes pieds sont intacts.

L’entretien débute. Après un bref instant pendant lequel Madame L. est restée stupéfaite, il est possible qu’elle entende tout l’intérêt que je porte à sa personne bien davantage qu’à sa douleur. Quelques questions supplémentaires permettent à la patiente de relater sa vie d’avant, sa vie d’après. Elle évoque alors « sa descente aux enfers », l’annonce du diagnostic, sa longue hospitalisation, les complications et toutes ses pertes : son métier, ses passions, son compagnon… Bibliothécaire dans une grande métropole, passionnée d’alpinisme, d’équitation et de voyages, elle vivait avec son ami et partageait un réseau amical très important. Six mois avant le diagnostic, elle a déménagé avec son compagnon pour s’installer dans une autre région.

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Nous visitons ses douleurs physiques. J’écoute toutes leurs évolutions, leurs caractéristiques, la place qu’elles prennent. Une heure et demie après, nous convenons d’un suivi. Aucun changement thérapeutique n’est proposé ou demandé.

Ainsi, plusieurs rencontres vont-elles avoir lieu. Je reste attentif aux regrets de la vie passée, aux bouleversements, à l’injustice mais aussi à tous les points qui restent problématiques : les douleurs bien évidemment, les pertes de son compagnon, de son travail, de son activité sportive, d’un réseau d’amis.

Lors d’autres entretiens, elle va évoquer son besoin de bouger , d’être active, d’indépendance, de liens, de partages dans son quotidien.

Et puis, il y a eu cette question : « Comment êtes-vous lorsque vous n’avez plus la douleur ou lorsque celle-ci devient tolérable ? » Madame L. s’effondre pour la première fois. « C’est pire ! » répond-elle. La patiente va exprimer sa véritable souffrance : « La douleur, je peux espérer la traiter, la combattre et améliorer ma vie. Si je ne l’ai plus, je suis en face de ma paralysie et, là, je sais qu’elle est définitive et je ne peux le concevoir. Je préfère ma douleur à ma paralysie ».

Madame L. va peu à peu vider son sac. Elle va pouvoir elle-même déplacer ses douleurs du centre de sa vie pour y remettre un peu de sa vie d’avant. Les douleurs deviennent supportables. Nous diminuons son traitement antalgique, une solution inenvisageable initialement.

Dans le conflit de Madame L., après la reconnaissance du masque de sa souffrance profonde par la douleur physique, la reconnaissance de ses besoins vitaux et leurs expressions à elle-même, nous avons perçu sa quête pour améliorer son quotidien, sa volonté de trouver des solutions : « Rien ne m’empêche réellement de voyager différemment avec plus d’organisation, de reprendre un poste professionnel adapté et, ce qui était plus improbable, accepter l’idée qui lui était déjà venue à l’esprit, nous dira-t-elle, d’aller sur un site de rencontre amical sécurisé ». Aucun jugement, une écoute bienveillante.

Dans cette situation, l’objectif initial était de traiter la douleur de la patiente. Nous ne l’avons pas fait comme nous l’avions envisagé. Madame L. a identifié ce qui faisait obstacle, débat et conflit en elle. Les traitements antalgiques ont pu être réduits secondairement, au fur et à mesure que la patiente reprenait confiance et retrouvait la paix. Cette charmante patiente a finalement trouvé elle-même la solution pour elle-même. N’est-ce pas cela le sens de la médiation ?

©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers

La suite est à lire ici : Médiation : chronique d’un médecin – Acte 4/8 : Les volets fermés ou la restauration d’un dialogue rompu

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