Mes collègues d’hématologie m’interpellent pour Monsieur L., 34 ans. Depuis l’annonce, en présence de sa femme, d’une impasse thérapeutique vis-à-vis de sa pathologie et d’un temps désormais compté à court terme, les volets de sa chambre sont fermés. Son épouse est assise à ses côtés, sans un mot, et sa mère est au bout du lit, silencieuse. Cela fait trois jours que cela dure et les soignants n’osent plus rentrer dans cette chambre tant l’atmosphère « est lugubre ».
Je rencontre Monsieur L. dans sa chambre et propose aux deux femmes de rester avec ma collègue infirmière dans un salon. Je m’engage à réunir les trois membres de la famille secondairement pour partager nos échanges. Une fois seul avec le patient, ce dernier relate longuement sa pathologie et l’évolution péjorative récente, mais il parle avec optimisme d’un prochain traitement qui « marche à 100% » comme le lui auraient dit mes collègues. J’écoute, sachant le discours de mes confrères. Par tâtonnements, par reformulations, je « visite les peurs » concernant la maladie, questionne sur ce futur traitement et m’introduis dans cette petite brèche lorsque Monsieur L. s’interroge sur des effets secondaires de ce traitement. « Que se passerait-il si la pathologie évoluait selon vous ? » demandais-je. L’attitude assurée du patient se fissure. Silence. Long silence.
Monsieur L. s’effondre. Cet homme lâche ses digues : « Je vais mourir docteur, je le sais on me l’a dit. Mais vous vous rendez compte, j’ai deux enfants de 4 et 6 ans. Que vont-ils devenir ? Comment ma femme va-t-elle s’en sortir ? Comment voulez-vous que je puisse en parler avec elle, c’est tellement injuste, tellement horrible ». La révolte contenue prend mots. Monsieur L. parle de sa mort. Une heure et demie vient de s’écouler. J’écoute, je le regarde avec compréhension et j’espère avec bienveillance. « Au fait, vous docteur, vous qui savez faire parler même de la mort, vous pourriez peut-être en parler à ma femme » ?
Oui, je peux. Il m’autorise à en parler dans sa chambre en présence du couple réuni. Le temps d’aller rejoindre son épouse et de lui proposer de nous rejoindre, l’infirmière me confirme que Madame L. est au clair mais ne peut en parler avec son époux tant « il est fermé et se convainc d’un traitement possible imaginaire ».
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Retour dans la chambre. Point par point, en demandant à Monsieur L. de me reprendre si je ne retransmets pas correctement nos échanges, je relate les dires du patient : sa pathologie, la gravité évolutive, même le traitement à venir qui guérit à 100%. Son épouse écarquille les yeux imaginant probablement que j’en suis resté là. Je relate l’enchaînement des propos, les effets secondaires, les craintes et, en réalité, sa perception qu’il n’y a plus de traitement curatif et qu’il va mourir. Des larmes viennent inonder le visage du patient.
Son épouse relâche la main de son mari et éclate en sanglot penchée sur son torse. C’est le moment où le soignant que je suis voudrait disparaître tant mon émotion est intense, bouclée à l’intérieur. Je laisse le temps. Puis, peu à peu, je souligne qu’ils peuvent entendre en toute confiance les mots – les maux – de l’autre, les partager et retrouver l’espace d’échange. Je les encourage à parler de leurs besoins à venir, des valeurs qu’ils aimeraient transmettre à leurs enfants… plus de deux heures viennent de passer.
Je ne reverrais pas Monsieur et Madame L. mais suis resté à disposition comme convenu entre nous. Aucun symptôme d’inconfort n’a nécessité mon avis. Les confrères m’apprendront un détail : « les volets de la chambre sont restés ouverts ».
©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers
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