Monsieur D. a 68 ans. Il est marié et a un fils unique, Olivier, lui-même marié et père de deux enfants.
Monsieur D. exerçait le métier de menuisier. Il aime les balades dans la nature et la pêche. Il dit être croyant sans appartenir à une religion particulière. Il parle de sa vie comme une « vie tranquille », faite de peines et de grands bonheurs.
Depuis trois ans, il est atteint d’un cancer pulmonaire. Malgré des traitements par chimiothérapies et immunothérapies, son état se dégrade et sa pathologie évolue avec des métastases pleurales et osseuses. Le patient est suivi en consultation depuis un an par l’équipe de soins palliatifs. Chaque consultation se fait en présence de son épouse.
Cet homme est toujours d’un contact courtois et bienveillant. Il affiche une certaine fatalité et sérénité lorsqu’il évoque sa pathologie et son évolution. Son épouse dit « reconnaître parfaitement son mari » en entendant ses propos et confirme « la tranquillité » de ce dernier face à la maladie.
Malgré l’approche antalgique, des douleurs en lien avec des métastases rachidiennes l’obligent à un alitement plus important. Ses prises alimentaires sont réduites et sa fatigabilité est marquée. Lors d’un épisode de détresse respiratoire, Monsieur D. est hospitalisé dans l’unité de soins palliatifs. Après un traitement symptomatique, l’état respiratoire du patient s’améliore. Il reste cependant dépendant de l’oxygénothérapie continue à bas débit. Deux séances de radiothérapie à visée antalgique sur les métastases osseuses et le réajustement de son traitement morphinique par voie sous cutanée permettent d’amender totalement ses douleurs. Il dit avoir retrouvé le sommeil et de bons moments au quotidien.
Lors de cette hospitalisation, son épouse est très présente. Elle dort le plus souvent dans la chambre de son mari. Après l’épisode aigu présenté par Monsieur D., le couple regarde la télévision, lit ou discute comme en témoigne l’équipe lors des soins prodigués. La réunion de synthèse de l’ensemble des soignants confirme la perception sereine de cette situation vécue par le couple comme une sorte d’acceptation, avec la volonté de profiter de chaque instant.
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Le fils de M. et Mme D., Olivier, rend visite à son père. Il ne s’est jamais manifesté pour rencontrer l’équipe médicale.
Un après-midi, à l’occasion de la contre-visite médicale, nous le rencontrons dans la chambre du patient et, pour la première fois, en présence de ses deux parents. Aux quelques questions du fils, nous répondons et évoquons l’état stabilisé de son père. Peu à peu, Olivier parle de sa difficulté à voir son père « dépérir », un père alité qu’il ne reconnaît pas : « Tu te rends compte dans quel état tu es ? Tu n’aurais jamais voulu ça. Pourquoi tu ne le dis pas ? » Toujours en présence de ses parents qui restent silencieux pendant l’échange, Olivier parle d’acharnement subit par son père. Il parle de son souhait de voir son père euthanasié plutôt que de « voir ce spectacle ». La demande de ce fils se fait de plus en plus agressive avec des propos de bourreau et d’inhumanité à notre encontre. Violence du fils retourné contre l’équipe soignante et particulièrement contre le médecin que je suis et qualifié de monstre.
Que se passe-t-il ? Nous recevons la colère, la rage de ce fils due à sa douleur à voir l’état de son père s’altérer. Nous sommes même gênés d’entendre ces propos très négatifs devant le patient alors que celui-ci n’a jamais exprimé de souhait d’en finir rapidement ou d’euthanasie.
Accueillir cette colère, l’écouter, la recevoir non pas comme si elle était d’emblée une attaque personnelle. Elle témoigne d’autre chose, d’une possible détresse : voir son père ainsi ? Imaginer la mort ? Supposer la détresse de son père ? Comment soutenir ce père, se voyant dans les yeux de ce dernier ? Comment faire face à ce fils dans le même espace, le même temps, sans entrer en dans une colère réciproque ? Comment renouer une relation apaisée entre eux, une place à chacun ?
L’équilibre du traitement, de l’écoute bienveillante, d’une attitude équidistante que le médiateur adopte avec les médiés, se retrouve dans certaines situations de conflit entre patient et proches.
Le fils aimant de Monsieur D., déversant devant son père toute sa colère, agressant au passage l’équipe médicale, opposé au besoin de vie de son père, vie vulnérable et invraisemblable pour ce fils, nécessite de garder son impartialité afin que chacun, père et fils, continue d’avancer sans arrière-pensée, ni jugement quelle que soit la position. Tous les deux seront écoutés avec bienveillance, avec l’objectif de permettre par la suite la compréhension et l‘apaisement des points de vue.
©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers
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