Médiation et harcèlement moral

Le mot « harcèlement » est très en vogue depuis quelques années. Il est bien souvent galvaudé car utilisé à mauvais escient. Il perd de ce fait toute crédibilité lorsque la situation harcelante est avérée.

Dans le monde du travail, comment distinguer ce qui relève du harcèlement de ce qui n’en est pas ? Quelle est surtout la bonne attitude à adopter face à une déclaration de harcèlement ?

La question du harcèlement est délicate pour l’employeur et, si la médiation n’est pas l’unique outil dans ces circonstances, elle peut être complémentaire à d’autres voies choisies. La médiation a cet atout de ne pas devoir juger, qualifier ou condamner.

Prenons un exemple concret. Edouard a 28 ans. Il a été embauché par l’entreprise il y a quelques mois, en CDI, et exerce les fonctions d’ingénieur. Il a de nombreuses compétences théoriques mais il connait peu le monde de l’entreprise du fait de son jeune âge.

Il travaille au sein d’un service d’une trentaine de personnes aux profils éclectiques. Ce service est dirigé par Nicole, 60 ans. Elle connait parfaitement la société car elle y a été embauchée à l’âge de 18 ans comme manutentionnaire. Elle a monté les échelons au fil des années à force de travail.

Elle est loyale et travailleuse. Elle encadre ses ingénieurs et techniciens avec vigueur et rigueur. Elle connait son équipe, elle est très présente et attend de ses subordonnés beaucoup d’investissement.

Un jour, Edouard a pris rendez-vous avec le PDG de l’entreprise pour lui faire part de son mal-être. il estime être harcelé par Nicole. Cette dernière serait toujours en train de lui rappeler, qu’il doit montrer davantage sa motivation, qu’il aura tout le loisir d’avoir des activités personnelles plus tard, que pour le moment, il ne doit pas compter ses heures au travail, doit apprendre plus vite, qu’à 28 ans on n’a pas besoin d’un week-end de deux jours pour se reposer… Il n’y a pas une journée sans remarque de ce type.

Le dirigeant est ennuyé par les propos qui viennent d’être entendus car il ne peut pas les passer sous silence et, en même temps, il a une confiance absolue en sa chef de service. Nicole, il la connait depuis 30 ans. Elle obtient de très bons résultats. Il est vrai par contre que son franc-parler peut déstabiliser les nouveaux arrivés.

Ouvrir une enquête parait être une solution mais c’est forcément condamner quelqu’un. Soit celui qui a eu des propos pouvant être qualifiés de harcelants si toutefois le harcèlement devait être avéré ; soit celui qui a subi les propos délétères si l’enquête devait révéler que le harcèlement n’est pas établi.  Est-ce pour autant faux de dire que celui qui se dit victime n’a pas perçu de mépris ou de déconsidération, ou que celui à qui l’on prête des propos harcelants n’est pas rempli de bonnes attentions ?

Lire aussi : Les modes alternatifs de règlement des différends

Le PDG décide de régler cette situation embarrassante en faisant conduire une enquête. Après tout, l’enquête a cette vertu de dire la vérité se dit-il. Une fois le verdict tombé, on prendra des décisions qui s’imposent !

Une enquête est donc réalisée et elle révèle que le harcèlement moral n’est pas établi. Edouard est anéanti par la sentence qu’il considère comme un désaveu. Il décide de donner sa démission. Il reste dans l’incompréhension et sa souffrance s’accroit avec le résultat de l’enquête.

Nicole est choquée par la décision du PDG d’avoir mis en place une enquête. Elle qui croyait avoir toute sa confiance, elle qui s’est tant investie pour cette entreprise. C’est un désaveu pour elle aussi. Elle décide de quitter l’entreprise et demande sa retraite anticipée.

Le PDG est anéanti par le départ de Nicole, et déçu qu’Edouard qui avait un profil intéressant et rare parte pour une entreprise concurrente. L’enquête a finalement polarisé les attitudes sans résoudre les difficultés. Voire même, dans ce cas précis, elle les a accentuées et elle a créé davantage de souffrances.

Dans l’entreprise, en cas de harcèlement moral, ou de suspicion, la médiation parait incontournable notamment quand les professionnels ont vocation à continuer à travailler ensemble. Elle va donner la parole aux faits et aux émotions pour que chacun puisse rencontrer l’autre. Pour que chacun acquière un regard différent sur l’autre et sur lui-même. La médiation va permettre de connaitre les besoins de l’autre, de dépasser les apparences, d’aller à la découverte de l’autre.

« Ainsi, la médiation va-t-elle offrir un espace pour accorder à chacun la possibilité de remodeler son schéma relationnel à lui-même et à l’autre. C’est l’espace de la conception des positionnements, de l’élaboration des décisions, du façonnage des projets. Chacun peut concevoir agir autrement, poser des actes différents de ses habitudes, pour obtenir un résultat nouveau, utile et agréable pour lui-même, sans impact négatif sur l’autre » a constaté Agnès Tavel, avocate, à l’occasion de la table ronde de la journée internationale de la médiation professionnelle. 

Quelques références juridiques

Article L 1152-1 du code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Article L 1152-6 du code du travail : « Une procédure de médiation peut être mise en oeuvre par toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou par la personne mise en cause. Le choix du médiateur fait l’objet d’un accord entre les parties. Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties. Il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement. Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime ».

Article L 2312-59 du code du travail : « Si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L’employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation ».

Arrêt du 27 novembre 2019 (n°18-10551) : la Cour de cassation a rappelé que « manque à son obligation de sécurité l’employeur qui ne prend aucune mesure et n’ordonne pas d’enquête interne après qu’un salarié a dénoncé des agissements de harcèlement moral, que ces agissements soient établis ou non ».

©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers

Lire aussi : Médiation organisationnelle : un retour d’expérience inédit, un modèle pour les hôpitaux et les Ehpad, mais pour les entreprises

Partager l'article sur
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin