Qui s’intéresse à la médiation, à la communication et aux relations humaines, ne peut s’arrêter, ne serait-ce qu’un instant, sur cette école de pensée, qualifiée comme parmi les plus originales et les plus fécondes de la seconde moitié du XXe siècle : l’école de Palo Alto. Même les journalistes sont concernés. Ils ne peuvent pas ne pas s’intéresser à leurs publics, aux environnements socio-culturels de ces derniers et à leur langage, pour s’adresser au mieux à leurs lecteurs, leurs auditeurs, leurs téléspectateurs.
Petite ville de Californie dans la grande banlieue de San Francisco, Palo Alto est bien connue pour compter sur son territoire la présence de la prestigieuse université de Stanford. Mais elle s’est surtout illustrée pour avoir été le berceau du travail novateur porté par de nombreux chercheurs de disciplines différentes ayant abouti à l’approche « systémique » des relations humaines. Ils s’appellent Gregory Bateson, anthropologue et psychologue, Hanz von Foerster, scientifique, l’un des fondateurs de la cybernétique, Virginia Satir, psychothérapeute, Jay Haley et Don Jackson, également psychothérapeutes et pionniers américains de la thérapie familiale, ou Paul Watzlawick, psychologue, psychothérapeute et sociologue.
Les travaux de ce groupe de scientifiques, praticiens et chercheurs, ont été conduits dans trois directions en particulier : une théorie de la communication, une méthodologie du changement et une pratique thérapeutique. L’unité de ces recherches repose sur une référence commune à la démarche systémique.
Chacun, avec son expertise et son expérience, a contribué à l’élaboration de cette nouvelle théorie de la communication et des relations humaines, d’une nouvelle conception du changement qui a inspiré de nouvelles pratiques. L’école de Palo Alto est souvent identifiée par des phrases devenues des slogans : le problème, c’est la solution. Ou encore : on ne peut pas ne pas communiquer, car « il est impossible de ne pas avoir de comportement (l’immobilité ou le mutisme absolus étant aussi des comportements) et que tout comportement est communication » rappelle Edmond Marc, docteur en sciences humaines et professeur émérite en psychologie, et Dominique Picard, professeure des universités en psychosociologie, spécialiste de la communication et des relations interpersonnelles, auteurs de l’ouvrage « L’école de Paolo Alto, une approche systémique des relations humaines » (Ed. Retz – janvier 2023 – Mise à jour 4e édition). Tout comportement est communication et trois approches animent la communication humaine : la syntaxe (la construction du message), la sémantique (le sens du message), la pragmatique (l’effet sur le comportement).
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Concrètement, dans la recherche de solutions pour sortir d’un conflit et d’une situation complexe, « le rôle qu’a pu jouer le passé de quelqu’un dans son état actuel (autrement dit, la recherche de la genèse de son comportement) n’est plus essentiel pour la compréhension qu’on veut en avoir. D’une façon plus générale, la recherche du « pourquoi » et des causses cesse d’être l’élément déterminant. » En résumé, avec l’école de Palo Alto, on ne va pas s’intéresser au « pourquoi », mais au « comment » en sortir, en resituant l’individu et son problème dans son environnement et ses relations. Un exemple ?
Voici une anecdote qui expose bien la recherche de la cause par le pourquoi, et non la résolution du problème par le comment. Deux thérapeutes se croisent :
– Comment vas-tu ? dit le premier en croisant son confrère.
– Ça va, répond l’autre, à part que j’ai fini par prendre un rendez-vous chez un spécialiste pour mes problèmes énurésiques.
Quelques temps plus tard, les deux hommes se croisent à nouveau.
– Alors, dit le premier, où en es-tu de ton problème ? L’as-tu réglé ?
– Non. Je suis toujours sujet à l’énurésie. Mais maintenant je sais pourquoi.
L’ouvrage très complet d’E. Marc et de D. Picard ambitionne de « rendre intelligibles et vivantes » toutes les dimensions des recherches et des pratiques issues de l’école de Paolo Alto, en partant de la vie et du parcours de celles et ceux qui l’ont fondée, en posant la définition d’un système et ses propriétés, en développant la théorie de la communication, la méthodologie et la pratique du changement, les principes stratégiques. Toutes les approches y sont abordées, enrichies de nombreux exemples et de références, même si, précisent les auteurs : « le lecteur risque d’être effrayé par l’évocation de toutes ces démarches qui peuvent lui paraître difficiles d’accès. »
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Et nous, qu’en avons-nous tiré ? En premier lieu que les formations longues à la médiation et à la gestion des conflits abordent peu, voire pas du tout, l’approche systémique dans l’appréhension d’un conflit. Et c’est bien regrettable. Comment appréhender l’exposé d’une situation par les intéressés si l’on n’est pas en capacité de resituer ces intéressés dans leur contexte et les relations avec leur environnement ? Nous ne rentrerons pas ici dans les détails tant cet ouvrage est riche, mais nous pouvons rapporter ici quelques notions qui ont retenu notre attention et qui, peut-être, vous inciterons à la lecture de ce livre : les caractéristiques essentielles d’un système, la notion du quid pro quo, la métacommunication, le caractère symétrique ou complémentaire d’une interaction, la communication paradoxale, le recadrage d’un système, l’approche systémique des organisations. Et puis des notions telles que l’escalade symétrique ou le conflit de loyauté. Bref, plein d’éléments qui, depuis notre lecture, nous permet de mieux comprendre – toujours avec beaucoup d’humilité – les conflits qui nous sont exposés et les enjeux de nos médiations.
L’école de Palo Alto a inspiré d’importants développements dans le monde et en particulier en Europe soulignent Edmond Marc et Dominique Picard : « des milliers de publications […], un dialogue scientifique soutenu à travers un nombre élevé de congrès internationaux […], un champ d’application très vaste qui va de la psychothérapie à la communication et à l’intervention dans les groupes, les institutions, les organisations, une influence considérable qui s’étend bien au-delà du cercle des initiés et qui a touché de très nombreux chercheurs et praticiens du conseil, de la consultation et de l’intervention. »
La démarche systémique propose une autre conception pour appréhender le changement. Et de citer Gregory Bateson, l’un des fondateurs de l’école de Palo Alto : « Aujourd’hui, notre tâche la plus urgente est d’apprendre à penser autrement. » Quelques décennies plus tard, cette exhortation est encore bien d’actualité.
©Hermès Médiation – centre de médiation – Poitiers
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